Introduction
Lors de mon blogue précédent, j’ai défini et expliqué ce que sont les clauses de «gross-up» ou de majoration que l’on retrouve dans certains baux commerciaux (espaces de bureaux, industriels et de commerces de détail). À l’aide d’exemples chiffrés, j’ai fait la preuve que lorsqu’elle est interprétée et appliquée correctement, la clause de majoration rétablit l’équité quant au partage, entre bailleurs et locataires, des coûts qui varient en fonction du taux d’occupation d’un immeuble.
Le marché de l’immobilier commercial étant ce qu’il est, au cours des années plusieurs bailleurs ont dénaturé le processus en profitant de la confusion généralisée qui régnait dans l’industrie à ce sujet. D’autres ne comprenaient tout simplement pas la raison d’être et le fonctionnement de ces clauses.
Voyons ensemble quelques-unes des erreurs d’interprétation et d’application les plus fréquentes de ces clauses. Ces situations seront illustrées à partir d’exemples qui seront basés sur les mêmes hypothèses que celles utilisées lors du précédent blogue (cliquez ici pour voir les exemples).
Majoration des coûts sans droit légitime
Puisque la majoration est un coût artificiel (le coût réel étant le montant réellement payé par le bailleur pour l’entretien ménager), cet artifice peut être inclus dans le coût du loyer additionnel facturable du locataire uniquement si le bail défini clairement le droit du bailleur d’inclure une telle majoration dans le coût du loyer. Accepter le contraire ouvrirait la porte aux bailleurs d’inclure tout autre coût imaginaire dans le loyer des locataires. Pourtant, certains bailleurs incluent des majorations de coûts dans le loyer de leurs locataires sans qu’aucune clause de majoration ne soit incluse dans les baux.
100% d’occupation? En théorie seulement…
Une clause de majoration qui est rédigée de façon à majorer les coûts comme si l’immeuble était occupé à 100%, a souvent comme conséquence d’avantager le bailleur de façon inéquitable au détriment des locataires. Bien que la pleine occupation puisse être possible dans certains marchés sur une certaine période de temps, les immeubles commerciaux affichent rarement un taux de vacance de 0%. Alors s’il n’est pas usuel pour un immeuble d’être à 100% occupé par des locataires, pourquoi le bailleur pourrait-il récupérer 100% de ses coûts via la majoration et ce, dès que le taux réel d’occupation est inférieur à 100%?
La solution pour pallier à cet enjeu, est tout simplement de prévoir que la clause de majoration s’appliquera uniquement si le taux d’occupation de l’immeuble pour l’année est inférieur au taux d’occupation normalisé. Par exemple, si le taux de vacance moyen historique d’un immeuble est de 5%, la clause de majoration pourra être rédigée de façon à s’appliquer uniquement lorsque le taux d’occupation est inférieur à 95%. Le bailleur pourrait alors ajuster le coût du nettoyage comme si l’immeuble était occupé à 95%. Le scénario 4 a été calculé en fonction de cette situation.
Scénario 4 : l’immeuble est occupé à 80% avec une clause de majoration de 95%
Dans ce quatrième scénario, la clause de majoration s’applique puisqu’elle a été prévue aux baux et que le taux d’occupation est inférieur à 95%. En majorant le coût de l’entretien, au montant obtenu si l’immeuble était occupé à 95%, le bailleur récupère 88.6% du coût réel total du contrat d’entretien ménager ($124,000 / $140,000); le coût qu’il assume est de $16,000. Ce montant représente 20% (taux d’inoccupation réel de l’immeuble) du coût de l’entretien des aires communes ($12,000 / $60,000) + 5% (taux d’inoccupation historique) du coût réel de l’entretien des lieux loués ($4,000 / $80,000). Le bailleur rétablit ainsi son manque à gagner au même niveau que si l’immeuble jouissait du taux d’occupation historique.
Quant aux locataires de l’immeuble, ils continuent de bénéficier de 100% du service d’entretien ménager à un tarif de $1.55 par pi2, ce qui est légèrement inférieur au tarif du scénario 1. Ce scénario normalise le partage des coûts entre le bailleur et les locataires au même niveau que si l’immeuble était occupé à 95% (taux historique) et que les baux ne prévoyaient pas de clause de majoration quelconque.
Là où ça commence à sérieusement déraper : ajustons la superficie!
La dérape la plus répandue concernant l’application des clauses de majoration, se produit lorsque le bailleur calcule les majorations non pas en majorant le coût du service reçu (tel qu’illustré par le scénario 3) mais bien en répartissant le coût réel sur la superficie occupée de l’immeuble. Le scénario 5 illustre-bien le manque d’équité de cette méthode.
Scénario 5 : l’immeuble est occupé à 80% avec une clause de majoration de 100% prévue aux baux (mauvaise méthode #1 utilisée par les bailleurs)
Dans ce cinquième scénario, la clause de majoration est incorrectement appliquée. En divisant le coût réel par la superficie occupée plutôt que la superficie totale de l’immeuble, le bailleur récupère 100% du coût réel total de $ 140,000 du contrat d’entretien ménager; le coût qu’il assume est nul. Non seulement le bailleur récupère t’il 100% des coûts d’entretien des lieux loués, mais il est en plus injustement remboursé par les locataires pour son manque à gagner sur le coût applicable aux aires communes (tel que démontré dans le scénario 3). Le bailleur fait donc assumer par les locataires un des risques intrinsèques réservé à tout propriétaire immobilier, soit le risque associé au taux de vacance de l’immeuble.
Quant aux locataires, ils doivent maintenant injustement subventionner le risque d’affaire du bailleur en payant plus cher pour le même service d’entretien ménager. Alors que le tarif normalisé pour l’entretien de l’immeuble devrait varier entre $1.55 à $1.60 par pi2, tel que démontré dans les scénarios 3 et 4, ils doivent maintenant débourser le tarif de $1.75 par pi2 ($140,000 / 80,000 pi2). Les locataires paient plus cher que si l’immeuble était occupé à 100%.
Une autre dérape : la totalité du coût de l’entretien est variable!
L’autre façon répandue et peu orthodoxe de gonfler exagérément les coûts dans un contexte de majoration, consiste à majorer la totalité du coût et non seulement la partie variable attribuable aux aires louables. La majoration est donc appliquée aussi aux aires communes, ce qui est tout à fait inéquitable et va à l’encontre de la raison d’être initiale de ces clauses.
Scénario 6 : l’immeuble est occupé à 80% avec une clause de majoration de 100% prévue aux baux (mauvaise méthode #2 utilisée par les bailleurs)
Comme l’illustre le sixième scénario, les résultats et les conclusions sont exactement les mêmes que le scénario 5.
La dérape totale…
Certains bailleurs sans scrupule débordent d’imagination dans l’interprétation et l’application des clauses de majoration. En voici deux exemples concrets :
- Majoration d’une ou plusieurs catégories de coûts fixes, c’est-à-dire qui ne sont pas affectés par le taux d’occupation de l’immeuble, tel que l’entretien paysager ou le déneigement des entrées de l’immeuble;
- Double majoration, c’est-à-dire premièrement la majoration des coûts variables (scénario 3), puis deuxièmement la répartition de ces coûts majorés sur la superficie occupée (dénoncé au scénario 5) de l’immeuble et non sur la superficie totale.
Les méthodes d’application des clauses de majoration de certains bailleurs ne peuvent être autrement considérées que comme étant frauduleuses.
Prochain blogue
Lors du prochain blogue, nous verrons de quelle façon les locataires et leurs représentants légaux peuvent minimiser leurs risques financiers reliés aux clauses de majoration avant la signature du bail. Au cours du terme du bail, la façon la plus sûre pour un locataire de démasquer les erreurs de calcul de majoration de son bailleur, est par l’octroi d’un mandat d’audit de bail à un spécialiste en la matière, tel que Gestion Financière MJS inc. N’hésitez-pas à communiquer avec nous à ce sujet.